Je suppose que, comme moi, après avoir pris connaissance des dates de construction des forts de notre région, quelque chose vous à intrigué. Comment se fait-il que les forts d'Albertville soient plus anciens que ceux prêt de la frontière et pourquoi avoir établit autant de fortifications autour d'une même ville. Pour répondre à ces interrogations il faut se replonger dans le contexte de cette fin du XIXe. Après avoir lu les explications qui vont suivre, tout vous paraîtra plus clair... enfin j'espère !

Un peu de géographie...

La configuration en arc de cercle des Alpes entre la France et l'Italie donne un côté convexe côté français et concave côté italien.
Cela engendre dans le relief à cause de l'érosion dû aux écoulements des eaux, des vallées convergentes vers Turin côté Piemont et divergentes côté français. Ceci peut paraître anodin de premier abord mais, par la suite vous comprendrez mieux les différences que cela entraîne dans le choix de la stratégie. De plus côté italien, les vallées sont courtes avec des versants abruptes, empêchant toute traversée entre vallée. Coté français c'est tout le contraire les vallées sont longues et séparées par des versants très ramifiés permettant de se rejoindre par des cols muletiers.
Cette structure du relief permet à l'Italie, à partir de Turin de menacer toutes les brèches de la frontière, alors que l'armée française doit se diviser pour éviter toute attaque surprise.
C'est sur ce constat que resurgit un concept stratégique développé en 1709 pendant la guerre de succession d'Espagne, " la ligne de défense mobile". Le Maréchal Berwick qui était alors l'ennemi de la Savoie s'était retrouvé dans la même situation que les généraux des années 1870. Il avait résolu ce problème en repliant ses lignes de défense aux débouchés des vallées et en regroupant ses troupes en un même lieu, laissant le rôle de glacis aux fonds de vallée. Comme cela il avait le temps de voir venir l'ennemi et de déplacer l'ensemble de ses troupes le long de la ligne de défense pour se retrouver en face des colonnes ennemis à temps.
Depuis 1860 la frontière de ce côté des Alpes c'était retrouvé de nouveau sur les crêtes, Séré de Rivières réactualisa dans son Exposé pour un système défensif de la France l'idée de Berwick et la notion de Glacis savoyard reprit du service.
Il fut donc décidé de créer deux ensembles fortifiés aux entrées des vallées de la Tarentaise et de la Maurienne, à Albertville et Chamousset.
Ce fut seulement aux alentours de 1885 que sous la pression des élus locaux et des pétitions des populations puis de l'évolution du concept de défense dans les Alpes que l'on lança la construction des fortifications au plus prêt de la frontière italienne.
Voila qui répond à une interrogation soulevée en début concernant l'antériorité des forts d'Albertville, il nous reste à saisir le rôle dévolu à cette Place.

Stratégie appliquée en cette fin XIXe.

Avant tout il faut lire deux ou trois trucs. Hé oui il faut en passer par là !

Prenons connaissance d'une partie du rapport de la Commission Supérieure de Défense sur la réorganisation des frontières (07/1873).

"...Classification de nouvelles défenses.
Ces défenses devront remplir trois conditions nécessaire.
- Maîtriser à notre profit les voies ferrées et les points stratégiques.
- Constituer de solides points d'appui pour les diverses lignes de défense destiner à arrêter l'ennemi, ou à servir de base pour un mouvement offensif.
- Assurer des points de concentration et des pivots de manoeuvre pour nos armées sur les flancs et en arrière de la zone d'invasion.
De là, trois catégories d'ouvrages défensifs que nous désignerons par les noms de
forts d'arrêts, places d'appui et place de manoeuvre..."

ceci nous conduit à l'exposé du système défensif pour la France fait par le général Séré de Rivières (05/1874).

"...Quant à la frontière du Sud que l'annexion de la Savoie et du Comté de Nice a si grandement amélioré, en reportant sur le faite des Alpes... , elle présente néanmoins, vis à vis de Lyon, un point vulnérable, au débouché du haut-Isère et de l'Arc dans la vallée du Grésivaudan.
La route du petit St Bernard offre la voie la plus courte, en territoire français, pour atteindre le bas de la Maurienne. La disposition du terrain ne se prête guère, d'ailleurs à une défense prolongée de la Tarentaise; la tête de vallée est accessible de divers côtés...
Il n'aura donc d'effort à faire que pour déboucher dans la grande vallée. C'est inévitablement entre Albertville, au débouché même du Haut-Isère et Ugine à l'entrée du défilé d'Annecy, que l'ennemi tentera de forcer le passage. Un contrefort nommé le Tal, étend son action sur ces deux positions, c'est donc sur ce contrefort que devront être établies les défenses destinées à maîtriser les défilés d'Albertville et d'Ugine..."

Et enfin.

"...On doit à la fois y établir des forteresses et y préparer un champ de bataille défensif, ou l'on aura de très grandes chances de vaincre un ennemi supérieur en nombre, déjà maître de la Tarentaise. En effet, cet ennemi se trouverai très probablement inférieur en artillerie, comme quantité de bouches à feu et surtout comme calibre, comme puissance et comme portée..."

Tiré d'un apostille du génie suite au rapport des inspecteurs délégués par la Haute Commission de Défense sur l'occupation des positions militaires autour d'Albertville(20/10/1874).

Voilà comment Albertville c'est retrouvé Place de Manoeuvre ou Camp Retranché (terme impropre, mais je reviendrai dessus plus tard).

A lire...

Honoré Coquet, Les fortifications de Savoie, revue trimestrielle l'histoire en Savoie, n°77 .
Henry Duhamel, Au pays des Alpins.
Guy Pedrocini, Vaincre la défaite 1872-1881, Tome 1 SHAT.

Glossaire

Glacis : Espacement de terrain à découvert en avant du fossé des fortifications permettant l'observation de l'ennemi qui s'y déplace et de faire feu sur lui. Côté extérieur il masque le mur d'escarpe.
Fort d'arrêt : Fort devant interdire à l'ennemi l'usage des voies de communications ( chemin de fer principalement).
Place d'appui : En arrière de la ligne avancée des forts d'arrêts, une première ligne de défense sera organisée avec des places entourées de forts détachés destinés à maintenir à distance de bombardement les batteries ennemi.
Place de manoeuvre : Pour renforcer cette ligne de défense on établira de grande Place de manoeuvre servant de point de concentration en début de campagne puis de ravitaillement et d'appui pendant le cours des opérations.

Maréchal Berwick

Le Maréchal de Berwick (1670-1734), fils naturel de Jacques II, roi d'Angleterre. Il pris après la révolution de 1688 une part très active à toutes les tentatives qui furent faites pour replacer son père sur le trône, se fit naturaliser français quand sa cause fut désespérée. Ce brillant officier s'engage alors au service de la France. Il est de toutes les guerres de Louis XIV en Espagne, en Irlande, en Flandres et aux Pays-Bas. Il est fait maréchal en 1706.
De 1709 à 1711, il maintint les frontières sud-est de la France dans le Dauphiné et la Savoie, ce qui permit à la France de reporter ses efforts sur la frontière nord-est. En 1733, il reçut le commandement de l'armée du Rhin lors de la Guerre de Succession de Pologne.
Lors du traité d'Utrecht, en 1713, il convainquit Louis XIV de demander l'annexion de la vallée de l'Ubaye, pour renforcer la frontière française des Alpes.
Il trouva la mort la tête emportée par un boulet lors du siège de Philippsburg. Ses mémoires demeurent très importante pour l'histoire militaire et politique de l'époque.